La Suisse à un croisement

Whitepaper in Kürze

  • La Suisse a longtemps été reconnue comme l’un des pays les plus avancés dans le domaine des politiques de gestion des déchets et de l’environnement.
  • Grâce à un cadre solide et efficace établi dans les années 1980-90 et portant sur la collecte, la valorisation et l’élimination des déchets, notre pays est connu comme le champion du monde du recyclage. Fruit d’une longue évolution, ce cadre est pourtant aujourd’hui largement insuffisant.

Champion du monde du recyclage

La Suisse consomme une grande quantité de matières premières et se place sur le podium des pays de l’OCDE s’agissant de la production de déchets urbains par habitant. Son taux de circularité matérielle en 2019 montre que seuls environ 14% des matières consommées en Suisse sont issues de la récupération de déchets et de leur recyclage (valorisation matérielle), une valeur qui, même si elle croît, ne permettra pas de couvrir la demande de matières.

En bref, notre consommation de ressources dépasse de loin les limites planétaires. Il s’agit dès lors de développer une nouvelle génération de politiques politiques, un ensemble cohérent qui vise à établir des modes de consommation durables, alignés avec nos objectifs climatiques, et qui exploitent toutes les opportunités liées aux stratégies d’économie circulaire.

La Suisse en comparaison internationale

La Suisse prend-elle ce chemin ? En comparaison internationale (pays environnants et Union européenne), l’idée d’économie circulaire a été lente à émerger sur l’agenda politique. Cette idée est encore largement comprise comme une stratégie de recyclage, tandis que les stratégies visant à ralentir les flux de matières, c’est-à-dire à prolonger la vie des produits et composants (p. ex. réparer, réutiliser) sont encore trop peu exploitées. Cette situation est pourtant en train de changer, et de nombreuses initiatives d’économie circulaire voient le jour du niveau local au niveau national et dans tous les secteurs de la société. Certaines de ces initiatives sont brièvement présentées ci-dessous. Elles montrent que la Suisse se trouve aujourd’hui à un croisement, et qu’il reste de nombreux efforts à fournir pour s’assurer d’une réelle transition vers une économie circulaire et durable.

Que fait la politique ?

Sur le plan politique, le Parlement fédéral se montre proactif et cherche à faire avancer l’économie circulaire au travers de nombreuses interventions qui couvrent la plupart des dimensions de l’économie circulaire. Des stratégies traditionnelles qui visent à renforcer la valorisation matérielle par rapport à la valorisation thermique (incinération), aux stratégies qui ciblent différents matériaux (gestion du plastique, gaspillage alimentaire, ressource en bois, etc.) ou différents produits et objets (véhicules, bâtiments, emballages, etc.), à des mesures qui visent à prolonger la vie des objets (disponibilité des pièces de rechange, indice de réparabilité, garanties, etc.). S’ajoutent à ces propositions d’autres interventions qui visent à établir des stratégies plus larges d’économie circulaire et à baisser les barrières à son adoption, ou encore qui proposent des instruments ou mécanismes pour la soutenir (fiscalité, passeports digitaux, indicateurs, green new deals, etc.).

La plupart de ces interventions n’en sont qu’au début d’un long processus de décision et leurs effets restent à évaluer. Des résultats initiaux peuvent néanmoins être notés, comme par exemple l’Initiative parlementaire 20.433 « Développer l’économie circulaire en Suisse » qui propose un large éventail de mesures visant à une plus grande efficacité des ressources, à développer la valorisation matérielle, et à souvenir des modes de consommation durables et circulaires – Initiative dont le texte final devrait être connu à l’automne 2021. La récente création d’un intergroupe parlementaire économie circulaire (voir encadré ci-dessous) devrait encore renforcer cette dynamique.

L’économie circulaire en Suisse

Où en sommes-nous alors en Suisse, s’agissant de la transition vers l’économie circulaire ? Un grand nombre de conditions nécessaires à cette transition est réuni. On mentionnera ici en particulier une configuration politique favorable, avec un soutien des principales forces du pays pour une économie circulaire qui contribue à la protection de l’environnement et renforce une place économique suisse idéalement positionnée grâce à sa tradition de recherche et innovation, un secteur manufacturier centré sur des produits de qualité et à haute valeur ajoutée, une tradition de formation professionnelle performante, etc. Reste que ces conditions favorables sont nécessaires mais encore insuffisantes.

Comme pays à l’économie orientée vers l’exportation et qui dispose d’un petit marché intérieur, la Suisse doit davantage prendre en compte les développements politiques rapides dans les pays qui nous entourent et dans l’Union européenne qui met actuellement en œuvre son second plan d’action économie circulaire. Quelques orientations politiques peuvent être ici évoquées afin de progresser vers une économie circulaire et durable en Suisse.

On pense en particulier au renforcement des conditions-cadres pour assurer que l’option de rétention de valeur la plus élevée soit systématiquement explorée et mise en œuvre. Dit autrement, il s’agit de mettre en place un cadre juridique qui instaure une hiérarchie claire entre les options de valorisation thermique (incinération), la valorisation matière (recyclage et utilisation en cascade) et les activités qui prolongent la vie des produits (entretien, réparation, réutilisation, remise à neuf), ces options allant des moins favorables aux plus favorables. A priori technique, cette évolution n’en reste pas moins nécessaire pour passer d’une politique publique de gestion des déchets en fin du cycle de vie des produits, à une politique de gestion des ressources et de produits, prenant en compte de manière holistique notamment les enjeux d’écoconception des produits, d’utilisation des objets, et d’impacts globaux de nos modes des production et consommation.

L’extension des systèmes de responsabilité étendue des producteurs à de nouvelles catégories de produits, et la mise en place progressive d’exigences lors de la mise sur le marché des objets (responsabilité préalable à la mise sur le marché) sont également des instruments sur lesquels la Suisse doit avancer. Le développement d’une politique d’achat public circulaire tout comme l’établissement des cibles et objectifs clairs mesurés grâce à des indicateurs pertinents font aussi partit de la direction à prendre. Enfin, un dialogue et une coordination renforcée entre les différents acteurs impliqués dans la transition vers une économie circulaire restent encore très largement à établir. On citera par exemple ici les associations économiques, de branches et d’employeurs, les associations de consommateurs, les syndicats, la recherche scientifique, et les organisations de la société civile. Seul ce dialogue et cette coordination pourront permettre un soutien large et une mise en œuvre efficace des stratégies d’économie circulaire[1].


[1] Pour plus d’informations sur la question des orientations politiques pour une économie circulaire en Suisse, voir https://circular-economy-switzerland.ch/politique/?lang=f

Conclusion

On l’aura compris, l’économie circulaire offre de très nombreuses opportunités pour la société et l’économie suisse. Cette stratégie dépasse de loin les seuls enjeux de gestion des déchets et peut contribuer à de nombreux objectifs de développement durable et à de nombreuses politiques sectorielles (stratégie numérique, politique de formation, instruments de promotion de l’innovation et de soutien à l’économie, politique agricole et alimentaire, etc.). Les défis à relever sont donc nombreux, mais la Suisse est bien positionnée pour les relever et construire une économie florissante au sein des limites planétaires.

Intergroupe parlementaire économie circulaire

Crée au printemps 2021, l’Intergroupe parlementaire économie circulaire réunit des parlementaires engagés et intéressés à cette stratégie, comme opportunité de concilier innovation, développement économique et protection de l’environnement. Parmi ses objectifs, on peut retenir en particulier celui de promouvoir le dialogue entre le monde politique, l’économie, la recherche et la société civile sur le thème de l’économie circulaire, ainsi que celui de créer un cadre politique optimal afin que l’économie circulaire devienne une priorité du développement durable.

L’intergroupe est co-présidé par des représentants de tous les principaux partis politiques suisses : Jacqueline de Quattro (CN, PLR), Adèle Thorens Goumaz (CE, Les Verts), Roger Nordmann (CN, PS), Stefan Müller-Altermatt (CN, Le Centre), Monika Rüegger (CN, UDC), et Roland Fischer (CN, Vert’lib), et il compte d’ores et déjà une vingtaine de membres. Il tiendra sa première rencontre lors de la session d’automne 2021 de l’Assemblée fédérale. Son secrétariat est assuré par la Fondation sanu durabilitas.

Pour plus d’information, voir le site : www.sanudurabilitas.ch/fr/projets/intergroupe-parl-economie-circulaire/

Auteur

Nils Moussu
Chargé de programme économie circulaire
sanu durabilities